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L’angoisse du premier fédéral au moment d’écrire le communiqué de la défaite. Réaction personnelle au résultat des européennes.

Je pourrais d’abord souligner la participation en légère hausse par rapport au scrutin de 2009. Je pourrais relativiser le score lamentable de mon parti en expliquant que nous ne faisons pas bien pire que la dernière fois. Je pourrais cogner sur les autres formations de gauche en accusant telle ou telle de s’être désolidarisée à un moment crucial de l’histoire européenne. Je pourrais pointer la responsabilité des médias et regretter je ne sais quelle complaisance envers les gagnants du jour. Je pourrais botter en touche en évoquant un mode de scrutin baroque et un nombre de listes rédhibitoire. Je pourrais le faire, de façon fine, bien amenée et en me faisant l’écho de tous ces éléments de langage dont les formations politiques inondent les plateaux.

Je pourrais, mais j’aurais tort car rien de tout cela ne permet de minimiser la claque ou de donner ne serait-ce qu’un début d’explication à cette capacité de mobilisation et de persuasion dont a fait preuve le Front National.

J’aurais tort comme nous avons eu tort en nous abritant derrière des poncifs que nos aînés ont voulu rassurants depuis des années, voire des décennies mais qui sont inopérants. Invoquer des libéraux comme les « pères de l’Europe » (les inénarrables Monnet et Schuman) ; tenter de faire vibrer les peuples en leur proposant une monnaie comme identité commune ; culpabiliser les électeurs en réduisant ceux qui s’interrogent sur la question des frontières à des réactionnaires qui ne comprendraient rien aux bienfaits des Erasmus, de la PAC et des fonds structurels ; répéter encore et toujours le sempiternel « on nous dit moins d’Europe mais au contraire nous disons plus d’Europe ». C’est tout cela qui nous a rendu inaudibles.

Les électeurs comprennent au contraire très bien. Ils comprennent que l’Etat-nation n’est plus l’unique moyen de garantir la souveraineté, mais qu’il reste un préalable indispensable. Ils comprennent, depuis toujours, que la démocratie sans la souveraineté est le plus fragile des systèmes de désignation. Ils comprennent que les élites ne se sentent plus appartenir au même corps de citoyens qu’eux. Ils comprennent que le monde tel qu’il va appelle de nouvelles structures démocratiques et économiques et que nous avons échoué jusque-là à les mettre en place. Ils comprennent que demain matin, leur situation matérielle sera la même qu’avant le vote.

Nous avions pourtant dans bien des circonscriptions des candidats de qualité, de sincères progressistes prêts à se battre contre le spontanéisme libéral dont les institutions européennes sont nimbées. Mais le vis-à-vis, les rencontres de terrain et la campagne restent marginales face au discours global, formaté et désormais impuissant de nos formations politiques. Et surtout face aux erreurs commises dans le choix des priorités pour améliorer la vie des Français.

Le droit de vote des étrangers, le débat sur la gestation pour autrui ou le non-cumul des mandats sont-ils de vrais sujets? Probablement. Sont-ce des priorités absolues au regard de la situation concrète vécue par les Français ? Non, vous diront ceux qui, dans leurs collectivités, leurs associations, leurs structures de proximité savent les préoccupations de nos concitoyens : trouver du travail sans que le coût du transport ne réduise l’effort quotidien à néant, accéder aux services publics élémentaires sans avoir besoin pour cela de vivre en proche banlieue ou dans les grands centres urbains, savoir que le cadre éducatif offert aux enfants et aux jeunes leur donne toutes les chances de démarrer dans la vie mieux outillés que leurs parents, éprouver de la fierté au travail, dans sa commune, dans son pays. Le Front National est incapable de répondre par la preuve à ses défis. Mais il sait convaincre une majorité relative de lui permettre de s’y essayer.

Ma culture politique initiale est celle du Conseil National de la Résistance et du gaullisme intellectuel et c’est à gauche que je suis entré en militantisme, avec raison et conviction. C’était en 1999 avec le Mouvement des Citoyens de Jean-Pierre Chevènement que j’ai soutenu en 2002, avec fierté. J’ai voté non au référendum sur la constitution européenne en 2005. C’est pour défendre cette vision républicaine et ce souci des classes populaires de manière efficace à gauche que j’ai adhéré au parti socialiste. Depuis toutes ces années j’ai trop entendu de la part de mes camarades qu’on ne pouvait pas être un socialiste sincère sans adhérer à l’Europe telle qu’elle va.

Il n’est jamais trop tard pour comprendre. La question n’est plus celle d’un Bad Godesberg que nous n’en finirions pas d’achever. C’est plutôt celle d’un aggiornamento de notre positionnement européen. Abandonnons le verbalisme, les « plus d’Europe » et la guimauve de « l’Europe qui a permis la paix ». Abandonnons nos réflexes pavloviens nourris par la crainte d’être comparés avec le Front National à chaque fois que nous évoquons cette belle idée de nation ou de souveraineté. Revenir à la source de nos valeurs progressistes en confrontant ce mètre étalon à l’aune des attentes populaires comme nous avons su le faire dans notre histoire est la seule posture et la seule voie possible. Prendre du recul par rapport à nos discours habituels, retrouver de la proximité avec les catégories populaires pour tenir à bonne distance les chimères du vote extrémiste : voilà l’enjeu, sous peine de voir le parti socialiste rejoindre son frère grec. La Pasokisation ou la refondation totale, tel est l’enjeu.